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Enquête | Les faux tableaux prolifèrent partout en France, dans les collections particulières mais aussi dans les musées. S'il est difficile aujourd'hui de copier des Picasso ou des Chagall, les faussaires en profitent pour s'attaquer à des peintres moins connus.

Comment des faussaires réussissent-ils à berner des collectionneurs privés et des musées ?

Ce 27 avril 2018, la petite ville d'Elne (8 700 habitants, dans les Pyrénées-Orientales) fête la réouverture après travaux de son musée consacré à la fierté locale, le peintre Etienne Terrus (1857-1922).

Mais stupeur dans l'assemblée conviée ce jour-là à la salle des fêtes : le maire, Yves Barniol, annonce que 82 tableaux d'Etienne Terrus sur les 140 que compte la collection de la municipalité ont été expertisés comme faux, soit près de 60 % du fonds.

Comment un musée municipal tout à fait respectable a-t-il pu acheter de faux tableaux ? Combien de contrefaçons d'autres artistes sont abritées dans les musées en France ou ailleurs ?

Un peintre peu connu

Natif de la ville d’Elne, Etienne Terrus a surtout acquis une notoriété localement, dans la région de Collioure, au début du XXe siècle. Arrivé à Paris à 17 ans pour étudier les Beaux-Arts, il n’y reste pas très longtemps, et retourne peindre en plein air dans son village natal. "Il a très peu produit", explique Eric Forcada, historien de l’art catalan, qui a le premier alerté la municipalité de ses soupçons sur les faux tableaux. "Cent ans après sa mort, retrouver 80 tableaux par-ci par-là, c'est improbable."

Photographie d'Etienne Terrus sur le motif, en 1905• Crédits : Musée Etienne Terrus, Ville d'Elne

Pour Eric Forcada, la faible notoriété du peintre est la cause de cette falsification de masse. "Aujourd'hui, reproduire un faux Picasso ou un faux Matisse, cela devient quasiment impossible. Donc on s'attaque à un artiste annexe, que l'on peut falsifier plus facilement."

Mais comment le musée a-t-il pu se laisser berner ?

Une conservatrice passionnée… mais bernée

Si ces faux tableaux ont pu entrer au musée municipal d’Elne, c’est en partie à cause d'une conservatrice, Odette Traby, à la fois militante associative et passionnée par l’œuvre de Terrus. Décédée en 2016, c'est elle qui ouvre le musée Terrus en 1994. "Le musée qu'elle crée est à l'image du militantisme culturel qui pouvait exister dans les années 80, raconte Eric Forcada. Beaucoup de débrouille pour rassembler des tableaux, pour essayer d'obtenir des crédits municipaux…"

Lorsqu'une soixantaine de faux tableaux lui sont proposés, à la suite d'une souscription, entre 2015 et 2016, Odette Traby est alors âgée et malade, et sa vue est défaillante. Mais on lui apporte sur un plateau ce qu’elle a recherché toute sa vie. Elle tombe dans le panneau. "Les gens qui lui ont proposé ces tableaux connaissaient son envie de découvrir de nouveaux Etienne Terrus, explique Eric Forcada*. Ils connaissaient aussi sa capacité à mobiliser des fonds. Ils ont profité de sa faiblesse à ce moment-là."*

Un abus de faiblesse pourrait donc expliquer le scandale.

Une erreur "stupide"

Éric Forcada, l'historien de l'art, est désigné commissaire de la rétrospective à venir, après le décès d'Odette Traby en 2016. Il commence à référencer les nouveaux tableaux devant être présentés dans le musée Terrus de la ville d'Elne. Mais lorsqu’il se retrouve face aux premières images de ces pièces il tombe des nues. "Il y avait un véritable problème, se souvient Eric Forcada. J'étais confronté à des faux très grossiers."